Une année de contentieux des pratiques commerciales

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Livre4Titre4Lecture de plage idéale, l’édition 2013 du bilan des décisions judiciaires en matière de pratiques restrictives et transparence tarifaire – toutes dispositions relevant du titre IV du livre IV du Code de commerce – est en ligne.

Ce travail considérable et fort utile, réalisé une fois encore par la faculté de droit de Montpellier, vient d’être publié sur le site de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales.

Un premier regard purement statistique amène à constater les fortunes diverses des dispositions applicables en matière de pratiques commerciales : aucune décision n’a été rendue en 2012 concernant la revente à perte, mais la rupture brutale des relations commerciales établies a été invoquée dans 249 décisions.

Pour mieux comparer ces chiffres, il faut encore relever que la disposition relative à la facturation (article L.441-3 du code de commerce (ci-après C. com.)) n’a fait l’objet que de 25 décisions. Il s’agit pourtant d’une disposition qui préoccupe fortement les entreprises.

Les auteurs de ce bilan s’interrogent d’ailleurs sur l’utilité de maintenir des dispositions non appliquées. Il est permis de ne pas partager cette interrogation. En effet, l’exemple de l’article L.442-2 C. com., qui permet de définir le seuil de revente à perte, constamment utilisé par les entreprises bien qu’il n’ait fait l’objet d’aucune décision judiciaire, tend plutôt à démontrer qu’une disposition législative peut être structurante quand bien même elle ne donnerait lieu, en pratique, à aucune sanction. A l’inverse, le fait que l’article L.442-6.I.5° C. com., relatif à la rupture brutale des relations commerciales, donne toujours lieu à autant d’actions judiciaires, est le signe que l’obligation d’accorder un préavis avant de rompre une relation commerciale n’est toujours pas pleinement assimilée.

Ceci est simplement une illustration du fait que l’utilité d’une disposition ne s’apprécie pas au nombre de ses applications judiciaires, et que certaines dispositions produiront leur effet sans qu’il soit nécessaire de les invoquer devant les tribunaux. C’est même probablement le signe d’une plus grande efficacité.

Ceci étant avancé, et sans rendre compte de façon exhaustive de ce document de près de 160 pages, il est possible de retenir les quelques points saillants suivants parmi les dispositions examinées :

  • Sur la facturation (article L.411-3 C. com.) : des 25 décisions examinées, les auteurs relèvent que l’invocation fréquente par les débiteurs des mentions devant figurer sur les factures pour tenter d’échapper à leur paiement. Les juridictions rappellent toutefois que cette disposition (i) est de nature pénale et, ne prévoit aucune sanction civile, et (ii) qu’elle édicte des conditions de forme et non de fond : le fait que ces conditions ne soient pas respectées ne signifient donc pas pour autant que l’obligation n’existe pas;
  • Sur la communication des conditions de vente et les pénalités de retard (article L.441-6 C. com.) : la question de la communication des CGV n’a donné lieu qu’à deux décisions, par lesquelles les juridictions saisies ont rappelé (i) que l’exigence de communication est subordonnée à une demande préalable, et (ii) que la sanction de son non-respect nécessite la démonstration d’un préjudice. Quarante-neuf décisions ont été rendues en revanche sur les pénalités de retard. On peut relever un mouvement majoritaire des juridictions pour considérer qu’elles sont dues de plein droit, même si d’autres juridictions continuent de subordonner leur application à la prévision, dans le contrat, du taux de pénalité et des conditions de règlement. La question du point de départ des pénalités de retard n’est pas non plus traitée de façon parfaitement unifiée, même si une majorité de tribunaux fixe ce point de départ au jour de l’échéance de la facture, ce qui est cohérent avec le fait qu’une majorité de tribunaux considère également qu’elles sont dues de plein droit;
  • Sur l’imposition de prix de revente (article L. 442-5 C. com.) : aucune décision sanctionnant l’imposition d’un prix de revente n’est intervenue en 2012. La seule décision qui avait accueilli une demande de ce chef, en 2011, a été cassée par un arrêt de la Cour de cassation en date du 23 octobre 212, reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si les prix de revente minimum avaient été effectivement pratiqués. Ainsi le seul fait d’avoir « tenté à plusieurs reprises » d’imposer des prix n’engage pas la responsabilité de l’auteur. Même si l’article L.442-5 du Code de commerce prévoit une sanction pénale (et, en matière pénale, la tentative est punie comme l’infraction), la demande d’indemnisation est fondée sur la responsabilité civile. Or, en matière de responsabilité civile, un préjudice effectif doit être démontré;
  • Sur les accords de coopération commerciale fictifs ou disproportionnés (article L.442-6.I.1° C. com.) : il est à noter que la rémunération peut se justifier par des contreparties telles que l’ouverture d’un marché plus vaste par une centrale à ses affiliés, l’assurance d’un volume d’affaires certain et régulier, ou encore la mise à disposition de la marque du franchiseur et l’assistance qu’il apporte à son partenaire;
  • Sur l’abus de dépendance ou de puissance d’achat (article L.442-6-I.2° b) C. com dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008) : cette disposition a été abrogée, pour faire place à la disposition relatif au déséquilibre significatif dans les relations entre les parties. Certaines solutions pourront toutefois vraisemblablement être transposées, comme celle de la Cour d’appel de Rouen qui, dans un arrêt du 12 décembre 2012, a considéré qu’une faculté unilatérale et non réciproque de résiliation, à tout moment, sans motif ni indemnité, était abusive;
  •  Sur la soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif (article L.442-6-I.2°  dans sa nouvelle rédaction) : si le faible nombre de décisions rendues ne permet pas de tirer des leçons définitives, force est toutefois de constater que cette disposition ne rencontre pas une grande fortune. Ainsi sur 14 décisions rendues, le déséquilibre significatif a été rejeté à 14 reprises. Il est possible toutefois de relever (i) que les juges ont semblé, au cours de l’année 2012, retenir une appréciation du déséquilibre clause par clause et (ii) une décision de la Cour d’appel de Lyon en date du 10 mai 2012, qui a écarté l’application de cette disposition au motif que l’article L.442-6.I.2° C. com. ne vise que les rapports entre partenaires commerciaux, ce qui supposerait une continuité des relations. Si une telle interprétation devait être retenue, cela exclurait toutes les relations ponctuelles;
  • Sur la menace de rupture brutale des relations commerciales (article L. 442-6.I.4° C.com.) : une seule décision, sur cinq, a conduit à retenir cette cause de responsabilité. Les juges ont également relevé qu’il ne saurait y avoir menace s’il y a déjà eu rupture ou encore ont refusé de retenir la responsabilité du fournisseur dans un cas où il était établi qu’il pratiquait des prix très largement supérieurs à ceux d’autres fabricants. Il n’était pas, dès lors, répréhensible de chercher à négocier ces prix, dans un contexte économique tendu;
  • Sur la rupture brutale de relations commerciales établies (article L.442-6-I.5° C. com.) : il s’agit là de l’essentiel – en termes numériques – du bilan. Les auteurs du bilan relèvent que, sur les 249 décisions, 128 ont sanctionné la rupture brutale, dont 44 ont accordé des dommages-intérêts supérieurs à 100.000 €.

Deux décisions rendues en 2012 par la Cour d’appel de Douai rejettent l’application de l’article L.442-6.I.5° C. com. à des associations à but non lucratif. Il convient toutefois de noter que ce bilan pour l’année 2012, du fait de son champ d’investigation chronologique, ne met pas ces décisions en perspective avec les décisions explicitement contraires de la Cour de cassation du 14 septembre 2010 et de la Cour d’appel de Paris du 7 décembre 2011. Aucun pourvoi ne semble malheureusement avoir été formé, ce qui aurait pu donner à la Cour de cassation l’occasion de confirmer sa jurisprudence. Ces deux décisions ne devraient donc pas venir restreindre le champ d’application très large de cet article. Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 mars 2012, a certes écarté l’application de l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce à une mutuelle d’assurances, mais uniquement en raison du caractère non établi des relations et non du statut de la mutuelle.

Il est intéressant de souligner que, dans quatre décisions, les juridictions saisies ont rejeté l’application de l’article L.442-6.I.5° C.com. sur le fondement de facteurs conjoncturels (difficultés du partenaire, baisses des commandes…) pour écarter la qualification de rupture et, dès lors, ne pas retenir la responsabilité de l’auteur de la rupture. Ce qui était une hypothèse (la prise en compte des circonstances économiques) il y a encore peu prend de plus en plus corps.

D’autres décisions illustrent également la variété des faits qui permettent de retenir l’existence d’une rupture des relations. Celle-ci ne résulte en effet pas nécessairement d’une lettre recommandée en bonne et due forme. Elle peut ainsi être caractérisée par une remise en cause de la limite de crédit jusque-là en usage entre les parties, ou encore le retrait d’une exclusivité accordée pendant vingt ans, même si le partenaire peut toujours vendre les produits.

Les décisions examinées montre aussi une certaine sévérité des juridictions dans la prise en compte des inexécutions de la victime de la rupture. Rappelons que l’article L.442-6.I.5° C. com. prévoit qu’il reste possible  pour l’auteur de la rupture de résilier un contrat sans préavis « en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations« . Pour éviter des ruptures fondées sur des inexécutions bénignes, les tribunaux ont posé que ces inexécutions doivent être graves. A titre d’exemple, dans un arrêt du 27 novembre 2012, la Cour de cassation n’a pas considéré comme suffisamment grave le fait que de nombreux produits livrés par un fabricant se soient révélés défaillants, et que celui-ci offre d’en rembourser plusieurs dizaines, et de procéder à des réparations : la Cour d’appel aurait dû vérifier si les réparations effectuées n’ôtaient pas toute gravité aux défauts concernés…

  • Sur la complicité de violation d’un réseau de distribution (article L.442-6.I.6° C. com.) : on relèvera l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 3 mai 2012, condamnant eBay pour la complicité de violation de réseaux de distribution sélective de parfumeurs.
  • Sur l’intervention du Ministre chargé de l’économie (article L.442-6.III C. com.) : rappelons que le Ministre peut engager une procédure, intervenir à la procédure engagée par une personne privée, demander au tribunal d’ordonner la cessation des pratiques et/ou de prononcer une amende civile. Dans une décision du 4 décembre 2012, la Cour de cassation rappelle notamment que le Ministre chargé de l’Economie dispose d’un droit d’action propre, qui lui permet d’être partie à la procédure, indépendamment des entreprises potentiellement lésées.

L’ensemble des décisions concernées est mentionné dans le document ci-dessous, qui fait également état de décisions rendues sur le fondement de dispositions aujourd’hui abrogées mais qui continuent, de façon transitoire, à produire effet. Elles n’ont pas été reprises dans ce billet, pour le concentrer sur les dispositions actuelles.

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