Relations commerciales : quand le contrat n’engage pas

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Cet article a été initialement publié au Cercle – Les Echos.

En droit français, le contrat est « la loi des parties ». Il est pourtant de moins en moins la source ultime du droit dans les relations commerciales. La loi vient de plus en plus en renfort de la partie faible, comme l’illustre la procédure ouverte contre Leclerc, pour écarter des clauses trop défavorables et endiguer les pressions indues.

Le Ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, vient d’annoncer l’assignation du groupe Leclerc par l’Etat, en raison d’une clause, déjà présente dans son contrat-type en 2012, qui créerait un « déséquilibre significatif » dans les obligations des parties. Cette clause imposerait en effet au fournisseur d’intervenir aux côtés de Leclerc dans le cas où le contrat passé entre les parties serait mis en cause devant les tribunaux, y compris par le Ministre de l’Economie.

Ceci ressemble fort, de la part de ce géant de la distribution, à une nouvelle façon inventive de faire obstacle à l’application de la loi.

Une nouvelle façon, car le Groupement Achat Centre Leclerc (GALEC) vient tout juste d’être condamné à une amende civile de 2.000.000 €, par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 septembre 2013. En effet, dans une affaire encore antérieure, le GALEC avait été condamné à restituer des sommes indument perçues à ses fournisseurs. Cette restitution devait être effectuée via le Trésor Public, l’action judiciaire ayant été introduite là encore par le Ministre de l’Economie. Or, le GALEC a fait pression sur ces fournisseurs pour qu’ils renoncent à percevoir ces sommes, allant jusqu’à leur adresser une lettre de renonciation pré-rédigée. Il a dès lors été condamné pour avoir introduit un déséquilibre significatif dans les relations commerciales.

Obliger, cette fois, les fournisseurs à défendre en justice le contrat-type qu’ils ont signé, contre le Ministre de l’Economie, ne manquerait pas d’ironie puisque celui-ci intervient précisément pour pallier les réticences des fournisseurs à agir eux-mêmes en justice, par crainte des représailles commerciales.

Cette nouvelle affaire met en exergue l’influence de l’ordre public économique et, par voie de conséquence, de toutes ces situations dans lesquelles le contrat n’engage pas les parties.

Se référer directement et uniquement au contrat est pourtant encore un réflexe naturel et compréhensible de tous les acteurs économiques. Ils se croient, dès lors, plus liés qu’ils ne le sont en réalité dans le cadre de leurs relations commerciales.

Or, la législation applicable en matière de relations commerciales comporte de nombreuses dispositions d’ordre public, qui conditionnent donc l’applicabilité des contrats.

Ainsi, en cas de rupture des relations commerciales, les tribunaux ont d’ores et déjà précisé à de multiples reprises que le juge n’est pas tenu par les dispositions du contrat relatives au préavis applicable. Il doit rechercher si ce préavis est proportionné à la durée des relations et, comme l’a établi la jurisprudence, aux impératifs de reconversion de l’entreprise.

Pourtant, les entreprises se cantonnent encore souvent à appliquer le préavis contractuel. Ce faisant, si elles sont à l’origine de la rupture, elles risquent d’exposer leur responsabilité, le préavis contractuel étant jugé insuffisant. Et l’entreprise qui subit la rupture risque, pour sa part, de passer à côté d’une solution négociée plus favorable, ou d’une indemnisation.A plus forte raison, comme l’a jugé la Cour de cassation dans une décision du 25 septembre 2007, il ne peut être fait obstacle aux dispositions légales par une clause prévoyant une rupture sans préavis. Il en serait de même des clauses qui feraient in fine obstacle à la loi en prévoyant des modalités d’indemnisation défavorables pour la victime de la rupture.

Les dispositions sur le déséquilibre significatif sont plus récentes que celles sur la rupture des relations commerciales, puisqu’elles ont été introduites par la loi dite LME en 2008.

Mais l’actualité récente fournit des exemples concrets de clauses jugées illicites. Ainsi, le groupe Casino a été condamné à une amende civile de 600.000 € par la Cour d’appel de Paris le 4 juillet 2013, pour une clause déséquilibrée relative au retour des invendus et au changement de tarifs. Le groupe Eurauchan a, lui, été condamné à une amende civile de 2.000.000 € par un arrêt de la même Cour du 11 septembre 2013, pour des clauses déséquilibrées relatives à la révision de prix et au taux de service.

La Cour d’appel de Paris a d’ailleurs souligné à cette occasion que le seul fait d’avoir fait figurer de telles clauses dans un contrat-type engageait la responsabilité de ces entreprises. Dans chaque cas, ces clauses sont purement et simplement considérées non écrites. C’est évidemment un élément à prendre en considération dès le stade de la négociation commerciale.

La disposition relative au déséquilibre significatif est aujourd’hui encore très largement cantonnée au secteur de la grande distribution. Rien ne le justifie pourtant. De même que les tribunaux ont rapidement jugé que les dispositions relatives à la rupture des relations ne s’appliquaient pas uniquement au secteur de la grande distribution, la disposition relative au déséquilibre significatif, qui figure dans le même article, ne s’y cantonnera pas. Elle s’appliquera tout spécialement à tous les secteurs dans lesquels les relations entre les parties sont par nature économiquement déséquilibrées.

L’ensemble de ces dispositions témoigne de l’intervention croissante du législateur et du juge dans les relations économiques et de la force finalement relative des contrats.

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